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Le monde sauvage du Gauli

Caroline Fink, jeudi, 17. décembre 2020

En hiver, tous les accès au Gauli sont raides. Et, lorsqu’on s’y rend à la fin du printemps, il faut porter les skis et de
lourds sacs à dos des heures durant. Qu’est-ce qu’on y gagne au juste ? Une expérience alpine comme on en vit rarement !

Après la première demi-heure de notre course de quatre jours déjà, nous nous retrouvons immergés dans une nature sauvage : les sommets rocheux de l’Alplistock et du Brandlammhoren se dressent face à nous. À leur pied s’étend le Bächlisboden, encore enneigé mais dont les méandres du torrent ont fait fondre la neige. Nous nous trouvons dans le Bächlital, dans la région du Grimsel. Cette vallée si sauvage et si belle vaut à elle seule le voyage. Toutefois, pour nous, il ne s’agit que d’une destination d’étape en route vers un environnement encore plus sauvage : le Gauli, une haute vallée s’étirant entre le Grimselpass et le Wetterhorn, si lointaine qu’elle semble appartenir au pays des contes.

 

Le matin suivant, nous quittons la Bächlitalhütte dans le noir en direction du fond de la vallée. Dans la lueur de l’aube, les silhouettes de granite apparaissent toujours plus clairement. Et, lorsque le jour colore l’horizon d’une teinte abricot, nous apercevons l’Obere Bächlilücke, portail qui nous mènera au Gauli. Ce passage serait infranchissable sans les échelles métalliques sur lesquelles nous grimpons dans le soleil matinal. Nous montons, échelon après échelon, comme si nous voulions toucher les étoiles. Au lieu de ça, nous franchissons péniblement deux blocs rocheux pour rejoindre l’Obere Bächlilücke, avant qu’un vent glacial nous chasse de l’autre côté. Ce passage reste cependant un lieu particulier car il représente la porte d’entrée dans le Gauli. Ce nouveau territoire nous accueille avec une pente si raide et si gelée que nos skis semblent dévaler sur du gravier. Ce n’est que plus bas que le Gauli, orné de belles pentes de neige printanière, se montre sous un jour plus amical. Dans ce paysage si solitaire, nous avons l’impression d’être les derniers hommes sur Terre.

 

Le mystère du Gauli

On peine à croire que cette haute vallée a eu, un jour, l’attention de la presse internationale, à l’occasion de l’atterrissage en catastrophe d’un avion sur le Gauligletscher. Ou lorsqu’il s’y est fracassé plutôt. L’histoire a commencé en 1946, lors d’une nuit de novembre tempétueuse. Un Dakota C-53 américain, transportant, de Vienne à Marseille, huit passagers, dont plusieurs militaires américains de haut rang, a dévié de sa trajectoire, fonçant dans l’obscurité devant les sommets du Gauli avant de venir s’échouer sur le glacier, tout au fond de la vallée. Les passagers et l’équipage, qui ont miraculeusement survécu, ont été évacués quatre jours plus tard grâce à un petit avion équipé de patins. Cette opération a marqué la naissance du sauvetage aérien dans les Alpes. Elle a, en outre, eu lieu au moment opportun car, un jour plus tard, l’hiver s’est installé dans le Gauli, engloutissant l’épave sous la neige et la glace. Il y a huit ans, la fonte du glacier a fait réapparaître l’hélice de l’avion.

 

Une maison de sorcière au fond d'un labyrinthe

Durant notre ascension, nous admirons des montagnes enneigées s’élançant vers le ciel en toute quiétude, tandis que des masses de glace flottent sur le Gaulisee. Ce lac arrondi s’étend au fond de la vallée, là où se situait le glacier autrefois. Nous atteignons la limite de la neige bien au-dessus de sa rive. Nous retirons nos skis et descendons à pied dans les pierriers. Nous plongeons soudain dans un univers de contes de fées constitué de lacs de montagne aux eaux émeraude, de dalles couleur rouille polies par le glacier, de mares où coassent des grenouilles de la taille d’une main et de plages de sable aussi fin que le sucre en poudre. Nous déposons nos lourds sacs à dos, retirons nos chaussures de ski de randonnée, foulons le sable pieds nus et nous allongeons au soleil sur les dalles rocheuses fraîches. « On se croirait au Canada », déclare mon amie. Je hoche la tête. L’endroit m’évoque même le Groenland, l’Islande ou le Yukon, derniers lieux où j’ai expérimenté une telle tranquillité.

 

Quelques heures plus tard, nous nous mettons en route pour la Gaulihütte. Nous traversons à pied un labyrinthe de petites vallées et de cours d’eau, avançons péniblement dans la neige mouillée et parvenons finalement à la cabane qui ressemble au dessin d’un enfant tant elle ressemble à une maison de sorcière, avec ses volets rouges et ses fenêtres à croisillons. Le soir, nous sommes assis dans le séjour en bois, tandis qu’un feu crépite dans le poêle. Dehors, la nuit tombe sur les sommets, emplissant le Gauli d’une paix qui semble éternelle. Seul le bruissement des torrents monte depuis la plaine alluviale. Lorsque, sous les combles, nous nous glissons sous la couverture, nous avons l’impression d’évoluer dans cette nature sauvage depuis des jours.

Ränfenhorn, Hangendgletscherhorn, Hubelhorn : la région du Gauli permet de réaliser de nombreuses courses d’une journée. Nous optons pour l’Ankenbälli. Tôt le matin, nous nous enfonçons encore davantage dans la haute vallée, laissons le Gaulisee derrière nous, traversons le Gauligletscher et montons sur de vastes pentes glaciaires en direction du sommet. Cette entreprise est chronophage car le sommet culmine à 3600 mètres. Lorsque nous atteignons le petit ressaut sommital, un peu après le dépôt des skis, nous n’en croyons pas nos yeux : au sud, le doux Ankenbälli tombe à pic, nous offrant une vue inédite au-delà de la cuvette du Lauteraargletscher. Au cœur de ce qui est peut-être la région la plus isolée des Alpes suisses se dressent, stoïques et majestueux, le Schreckhorn et le Lauteraarhorn.

 

Les sentiers ardus mènent aux étoiles

Mon amie et moi ne savons pas encore que nous nous retrouverons sur le Lauteraarhorn quelques mois plus tard seulement. Durant notre pause, au sommet de l’Ankenbälli, nous n’avons qu’une seule idée : trouver quel sera le meilleur moment pour une descente dans la neige de printemps. Celui-ci arrive peu après, nous offrant une superbe descente durant laquelle mes skis semblent s’être transformés en tapis volants décrivant de larges boucles en direction du Gauli ! La descente est si belle qu’après celle-ci plus aucun inconvénient ne vient effacer nos sourires radieux. Pas même la remontée à la cabane sous le soleil de midi. Ni les cinq autres skieurs qui y ont pris leurs quartiers entre temps. Ni le fait qu’il fera trop chaud le lendemain pour descendre à Rosenlaui via le Rosenhorn.

 

Changeant de plan, le jour suivant, nous fixons les skis sur notre sac à dos, pataugeons dans les cours d’eau de la plaine alluviale sous la cabane et portons nos bagages durant trois heures pour descendre dans l’Urbachtal. Mais, comme le dit l’adage, ce sont les sentiers ardus qui mènent aux étoiles. Dans notre cas, ils mènent à l’aventure dans une nature sauvage comme nous n’en avions encore jamais connue dans les Apes.

 

Infos - du Bächlital au Gauli

Région
Le Gauli se cache entre le Grimselpass et le Wetterhorn ; en hiver, tous ses accès nécessitent des conditions sûres ; nous décrivons ici la variante par le Bächlital ; d’autres accès passent par l’Urbachtal, le Rosenlaui ou la région de l’Unteraar / Lauteraar

Voyage aller/retour
Train jusqu’à Innertkirchen ; bus sur demande jusqu’à la station inférieure du téléphérique KWO Handeck-Gerstenegg, une fois la route du Grimselpass au Räterichsbodensee ouverte, taxi depuis Innertkirchen ou Meiringen (plus de bus sur appel/téléphérique) ; retour en taxi de l’Urbachtal à Innertkirchen ou Meiringen ; plusieurs services de taxi dans le Haslital

Point de départ
Station supérieure Gerstenegg (téléphérique KWO Handeck-Gerstenegg), en-dessous du Räterichbodensee

Arrivée
Mürvorsess dans l’Urbachtal

Cabanes
Bächlitalhütte SAC, 033 973 11 14
Gaulihütte SAC, 033 971 31 66

Itinéraire
Station supérieure Gerstenegg – Bächlitalhütte : PD, 620 m de dénivelé, 2h30
Bächlitalhütte – Obere Bächlilücke – Gaulihütte : PD+, 4-6h (selon la situation neigeuse)
Gaulihütte – Ankenbälli – Gaulihütte : PD+, 6h30
Gaulihütte – Urbachtal : PD+, 3h (selon la situation neigeuse)

Depuis la Gaulihütte, on peut réaliser de belles courses sur le Hubelhorn (PD), le Ränfenhorn (PD+) et le Hangendgletscherhorn (PD+) ; par bonnes conditions neigeuses, un itinéraire retour élégant aborde le Rosenhorn ou le Wetterhorn et descend à Rosenlaui (AD+)

Carte
www.map.geo.admin.chwww.whiterisk.ch

Littérature
Martin Maier: Skitourenführer Berner Alpen Ost – Hohgant bis Aletschhorn, SAC-Verlag 2016 ; Portail de courses en ligne sur www.sac-cas.ch

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