Monsieur Schweizer, depuis vos études de physique, vous vous intéressez de près aux montagnes. Les montagnes ne sont-elles pour vous qu'un objet de recherche ou êtes-vous vous-même un montagnard actif ?
Les deux à la fois. Dès mon adolescence, j'ai passé beaucoup de temps en montagne, j'ai été actif au sein de l'organisation de jeunesse du CAS et, en tant que responsable OJ, j’étais en route presque tous les week-ends. J'ai probablement gravi environ la moitié des 4000 de Suisse. C'était un heureux hasard d’avoir pu effectuer mon travail de diplôme en glaciologie. J'ai voulu mieux comprendre une grande partie de ce que je voyais le week-end et cela m'a motivé pour mon travail scientifique.
En tant qu'alpiniste, avez-vous rencontré des situations dans lesquelles vous vous êtes dit après coup : ce n'était pas la meilleure idée !
Certaines avalanches que j'ai déclenchées ne sont pas tombées du ciel. Lorsque j’ai commencé à travailler à Davos, le SLF se trouvait encore au Weissfluhjoch. Nous étions alors dans la neige huit mois par année et pensions tout avoir sous contrôle. C'est sans doute normal de se surestimer quand on est jeune. J’ai vécu des déclenchements à distance où il ne s'est rien passé, mais j'ai aussi été enseveli jusqu'aux genoux. Aujourd'hui, je cherche moins la limite, du moins je l'espère. C'est lié à mes connaissances, mais aussi à l'âge.
Comment s’est passé votre hiver 2024/25 d’un point de vue personnel ?
L'hiver a été nettement meilleur que prévu. Il y avait certes peu de neige. Mais si l'on connaît Davos, on trouve toujours quelque chose à faire. Cependant, je n'ai jamais mis aussi souvent le casque que cet hiver. Normalement, je n'aime pas trop skier avec un casque. Mais en raison du faible enneigement, beaucoup de cailloux affleuraient. D'où le casque.
Et comment s’est passé l’hiver 2024/25 du point de vue du responsable du SLF ?
Mis à part la période avalancheuse juste avant Pâques, il y a eu peu de neige et peu d'événements. Les victimes ont également été peu nombreuses, du moins jusqu'à fin avril. Environ deux fois moins de victimes d’avalanche par rapport à la moyenne pluriannuelle. Mais l'expérience montre que le nombre de victimes varie fortement et qu'il n'est pas toujours possible d'en expliquer les raisons. En revanche, pour les déclenchements d'avalanches sans gravité, le nombre d'avalanches signalé n'était pas inférieur à celui des autres années. Ce nombre augmente depuis des années. Mais cela est surtout lié au fait qu’on nous signale davantage les déclenchements. C'est super, car avoir une bonne vue d'ensemble de l'activité avalancheuse est important pour la prévision d'avalanches.
Selon certaines études, le nombre de personnes qui s'aventurent en hiver en dehors des pistes sécurisées aurait doublé entre 2014 et 2020. Cela ne se reflète néanmoins pas dans les statistiques des accidents.
Dans les endroits populaires, il n'y a plus cinquante mais peut-être cent voitures sur le parking. Malgré tout, rares sont ceux qui font ce que l'on appelle la « première trace ». Il n'est donc pas si étonnant qu'il n'y ait pas deux fois plus de victimes d'avalanches. La majorité des personnes vont là où il y a déjà eu quelqu'un auparavant. De plus, l'alerte est meilleure et le sauvetage plus rapide, l'équipement et la formation ont aussi progressé – et j’ose espérer que les prévisions du danger d'avalanches y contribuent également.
Depuis 35 ans, vous travaillez dans le domaine des avalanches. Durant cette période, les connaissances sur les avalanches ont bien évolué. Avons-nous aujourd'hui la maîtrise des avalanches ?
Nous ne les maîtrisons certainement pas totalement. C'est même plutôt l'inverse : c'est la nature qui nous maîtrise. La variabilité dans la nature est grande et parfois insondable. Mais nous avons fait de grandes avancées dans la prévention des avalanches. Bien sûr, il y a toujours des surprises. Les avalanches se produisent à l’intérieur du manteau neigeux, invisible à nos yeux. Mais nous avons aujourd'hui une meilleure compréhension de la formation des avalanches et nous en savons également plus sur la constitution du manteau neigeux.
Il est intéressant d'observer que l'évaluation du danger d’avalanches est soumise à certaines tendances et modes. Je pense ici au test du bloc glissant ou au profil de neige.
Il y a aussi des tendances et des modes dans la recherche sur les avalanches et surtout dans la formation – il y a parfois des allers-retours. Je n'ai pas suivi toutes les tendances. Si l'on sait ce qui est important pour la formation d’une avalanche, à savoir le manteau neigeux, on peut se le permettre. Mais pour cela, il faut avoir confiance en ses connaissances. Ce n'est pas toujours facile. Les tests mentionnés ont surtout une valeur pour la prévision des avalanches. Pour évaluer le danger d'avalanche, il est fondamental de savoir comment est constitué le manteau neigeux. Il n'y a pas d'autre solution. En matière de prévision d'avalanche, nous nous appuyons naturellement aussi sur une modélisation du manteau neigeux.
Les randonneurs devraient-ils aussi pelleter davantage ?
Non, ce n'est en général pas nécessaire. Si l'on décèle une instabilité lors d'un tel test, cela peut être une information supplémentaire utile. Inversement, si l'on ne trouve rien, cela ne signifie pas que tout va bien. Un tel examen du manteau neigeux est plutôt une des pièces du puzzle qui permettent d'obtenir une image aussi complète que possible de la situation avalancheuse – et il favorise la compréhension du processus. En tant que randonneur, je peux généralement me contenter de lire attentivement le bulletin d'avalanches pour savoir à peu près comment est constitué le manteau neigeux.
Les limites auxquelles on se heurte sont nombreuses. Les offres numériques peuvent-elles aider à repousser ces limites ?
Oui et non. Avec les outils numériques, nous parvenons à mieux évaluer le terrain et à situer les endroits dangereux. Nous avons de super outils, des cartes numériques et par exemple la couche CAT dans l'application White Risk. En revanche, la réponse est non lorsqu'il s'agit du danger d'avalanche lui-même. En effet, le bulletin d'avalanches fournit une évaluation régionale du danger, la représentation détaillée sur la carte n'est donc pas pertinente. Tout compte fait, les possibilités numériques qui se sont ajoutées ces dernières années simplifient considérablement la planification. Le site Skitourenguru propose par exemple des randonnées qui se situent dans la zone verte. C'est une bonne entrée en matière. Malheureusement, il est déjà arrivé que quelqu'un ait téléchargé un itinéraire, l'ait suivi aveuglément et se soit retrouvé dans une situation fâcheuse. Mais dans l'ensemble, je dirais que les avantages l'emportent sur les inconvénients.
Le téléphone portable donne souvent une impression de sécurité trompeuse. Ne risque-t-on pas alors de devenir plus imprudent en randonnée à ski et de ne plus accorder autant d'importance à l'évaluation sur le terrain ?
C'est comme la ceinture de sécurité en voiture. Est-ce que nous compensons le gain de sécurité en roulant vraiment tous plus vite ? Si l'on retire son DVA à un randonneur, il se montrera probablement plus prudent. Si l'on ajoute un sac à dos avec airbag, les différences sont plutôt faibles, et dépendent du groupe d'utilisateurs. La compensation possible des risques n'est en tout cas pas un argument contre un meilleur équipement ou même une formation. Des offres comme l'application White Risk sont aujourd'hui vraiment bonnes et offrent une valeur ajoutée considérable. Une bonne préparation, c'est déjà la moitié du chemin. Même en route, je peux mieux évaluer le terrain.
Les jours du bulletin d'avalanche sont-ils donc comptés ?
Non, le bulletin d'avalanches existera encore longtemps. La météorologie fait aussi toujours des bulletins météo, même s'ils sont en partie automatisés. Et nous avons certainement dix ans de retard sur la météorologie en ce qui concerne l'utilisation de modèles numériques. Mais justement : il y a encore des services météorologiques et ce n'est pas comme si chacun faisait tourner son propre modèle numérique dans sa cuisine pour savoir quel temps il fera. Et il faut aussi que quelqu'un développe les modèles. Sans compétence professionnelle, ça ne marche pas.
Et que pouvons-nous attendre de l'intelligence artificielle à l'avenir ?
Avec des données plus nombreuses et nouvelles et une plus grande puissance de calcul, la résolution temporelle et spatiale des prévisions sera certainement encore meilleure. Nous utilisons actuellement plusieurs modèles d'apprentissage automatique (IA) dans la prévision des avalanches, et ce pour la prévision automatisée de la stabilité du manteau neigeux, du niveau de danger, des avalanches de neige mouillée et des avalanches spontanées de neige sèche. Longtemps plutôt sceptiques, les prévisionnistes d'avalanches considèrent désormais ces modèles comme une aide précieuse et les intègrent de plus en plus dans leur processus de travail.
Dans quel mesure les changements climatiques vont-ils continuer à influencer les avalanches en hiver ?
Lorsque je suis arrivé à Davos il y a 35 ans, c'était exceptionnel s’il pleuvait à Noël. Aujourd'hui, nous avons de la pluie plusieurs fois chaque hiver. En moyenne, il y a moins de neige en moyenne altitude et presque plus du tout de neige en basse altitude. Et la durée de l’enneigement a également diminué. Mais la variabilité naturelle est grande. Et il ne faut pas non plus oublier : les zones de rupture typiques se situent à une altitude d'environ 2500 mètres. Là, il y aura probablement encore de la neige pendant longtemps. Pour les grandes avalanches, ce sont surtout les conditions météorologiques extrêmes qui sont déterminantes. Les valeurs moyennes, le climat donc, ne sont pas si importantes.
Devons-nous continuer à craindre des événements extrêmes comme l'hiver 1999 qui a fait 31 morts à Galtür en Autriche et 12 morts à Evolène (VS) ?
Les précipitations extrêmes continueront d'exister, et seront même plus fréquentes selon certains scénarios climatiques. Avant Pâques, nous avons eu un bel exemple de précipitations extrêmes en Valais. En moins de deux jours, plus de deux mètres de neige sont tombés par endroit et ont provoqué un fort risque d'avalanche. En forçant un peu le trait, comme l'a formulé un collègue canadien : les avalanches se moquent bien du climat, c'est la météo qui compte. Mais le réchauffement climatique a déjà un effet, les avalanches pénètrent moins loin dans les zones habitées lorsqu'il ne neige pas au fond de la vallée, mais qu'il pleut. Même pendant la Semaine sainte, les avalanches ne sont pas descendues extrêmement bas parce qu'il n'y avait plus de neige à basse altitude. La distance parcourue par les avalanches dépend de la température pendant les chutes de neige.
L'impression est-elle trompeuse ou entend-on de moins en moins le « woum » angoissant qui se produit lors du tassement de la neige ?
Actuellement, il n'y a aucun signe à cet égard. Des prévisions pour la fin du siècle, basées sur des simulations du manteau neigeux, montrent toutefois que la neige est mieux consolidée lorsque les températures sont plus chaudes et qu'il y a également moins de couches fragiles. Le manteau neigeux devrait donc devenir plus stable et le nombre d'avalanches sèches diminuer.
Moins d'avalanches de neige sèche, mais plus d'avalanches de neige mouillée ?
Il faut s'y attendre, notamment en raison de la pluie qui tombe jusqu'à des altitudes élevées. L'activité d'avalanches de neige mouillée commencera plus tôt dans l'année. Cette tendance est déjà évidente aujourd'hui. Au cours des 30 dernières années, le début des avalanches printanières de neige mouillée s'est avancé de début avril à début mars. C'est jusqu'à présent l'effet le plus marquant du réchauffement climatique sur l'activité avalancheuse.
Le problème des avalanches de neige mouillée est qu'elles ne peuvent pas être déclenchées artificiellement. Dans le domaine skiable, il ne reste alors plus qu'à interdire l’accès aux zones menacées.
Autrefois, au printemps, on se demandait si on devait fermer la descente en station l'après-midi. De plus en plus souvent, il faudra faire cette évaluation même en plein hiver. Le travail des services de sécurité ne sera pas plus facile à l’avenir.
Le SLF publie chaque année des rapports d'accidents. Quel est l'accident d'avalanche qui vous a personnellement le plus appris ?
En raison de mon activité d'expert, j'ai vu de nombreuses avalanches. C'était souvent triste et très consternant. Dans la moitié des cas, je peux affirmer qu’il ne s’agissait pas de témérité, mais plutôt de malchance. Cela aurait pu m'arriver à moi aussi. Cette expérience m'a aussi montré à quel point il est difficile d'évaluer le danger d'avalanche. Nous ne pouvons pas savoir avec certitude quand et où une avalanche se produira. Nous ne pouvons qu’en estimer la probabilité. Cela m'a surtout permis de comprendre l'importance du terrain. C'est le plus grand levier, si l'on pense aux conséquences. Quelqu'un est emporté dans le fossé d'un ruisseau ou projeté contre une grosse pierre et se retrouve trois ou quatre mètres sous la neige. Ou prenons une pente qui, après cent mètres, se transforme en une paroi rocheuse verticale de cinq cents mètres. Une avalanche dans un terrain défavorable peut avoir des conséquences fatales. Je mets intuitivement l'accent sur les conséquences depuis une vingtaine d'années. Ces dernières années, cette évaluation axée sur le risque est heureusement aussi arrivée dans la formation en matière d'avalanches.
Que conseillez-vous à tous ceux qui s'aventurent en hiver en dehors des pistes sécurisées et qui n'ont pas votre expérience et vos connaissances – comment réduire au mieux le risque d'être pris dans une avalanche ?
Une randonnée à ski agréable dépend du choix d'une destination adaptée aux conditions. Sans expérience et sans connaissances, il est préférable de se limiter aux terrains qui ne sont pas assez raides pour les avalanches et de rester chez soi en cas de degré de danger « marqué ». Si l'on veut aller plus loin, il faut se joindre à une randonnée avec un accompagnateur compétent.
Vous partez à la retraite cet été. Vous en avez assez de la neige et de l'hiver dans votre vie ?
La neige continue de me fasciner. Et la neige rend heureux. Pour moi, elle est synonyme de qualité de vie. Les randonnées à ski ont toujours été le moyen parfait de trouver un équilibre avec mon travail certes idéal, mais parfois aussi très stressant. Elles m'ont apporté beaucoup de résilience. Faire sa trace là où personne n'est encore passé, c'est tout simplement trop cool.
Jürg Schweizer
Le Prof. Dr. Jürg Schweizer, né en 1960 à Frauenfeld (TG), a étudié la physique environnementale à l'EPF de Zurich. Après avoir obtenu son doctorat en glaciologie en 1989, il a rejoint l'Institut fédéral pour l'étude de la neige et des avalanches (SLF) à Davos en tant que collaborateur scientifique. Plus tard, il a également travaillé comme chercheur à l'université de Calgary. En 2006, il a été nommé directeur du groupe de recherche « Formation des dangers naturels alpins » au SLF. Depuis 2011, il dirige l'unité de recherche « Avalanches et prévention ». Il est également directeur du SLF et membre de la direction de l'Institut fédéral de recherche WSL à Birmensdorf. Il enseigne en tant que professeur titulaire à l'EPF de Zurich.
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